- ALCALOÏDES
- ALCALOÏDESLes alcaloïdes représentent un ensemble de molécules d’origine naturelle, renfermant du carbone, de l’hydrogène et, plus spécialement, de l’azote. La plupart possèdent une activité biologique marquée qui a suscité de longue date un intérêt thérapeutique. Leur dénomination – de l’arabe al kali (qui a donné «alcali») et du grec 﨎晴嗀礼﨟 (forme) – fait référence à leur caractère «alcalin» ou «basique».En fait, les alcaloïdes forment un groupe hétérogène, du point de vue tant de la structure et des propriétés chimiques que des effets biologiques qu’ils manifestent, et dont il est impossible de donner une définition satisfaisante. Représentant les principes actifs de nombreuses plantes médicinales ou toxiques connues parfois depuis l’Antiquité, ils ont joué un rôle important dans la découverte des médicaments chimiques (morphine, quinine, cocaïne, atropine...) et dans le développement de l’industrie pharmaceutique en France à la fin du XIXe siècle. Cela ne les empêche pas d’être encore d’actualité en thérapeutique et de constituer d’importants réactifs biologiques.On admet selon M.-M. Janot que, pour être rangée parmi les alcaloïdes, une substance doit répondre à cinq critères: rattachement aux molécules organiques, présence d’azote, formation de sels, activité physiologique, obtention de dérivés insolubles avec certains réactifs dits «réactifs généraux des alcaloïdes». La formation de sels n’est pas rigoureusement respectée: ainsi la caféine et la colchicine, non salifiables, sont cependant assimilées aux alcaloïdes par la plupart des chimistes.Leur domaine, longtemps limité au règne végétal, s’est élargi aux animaux terrestres ou marins et à divers micro-organismes, grâce aux progrès de la chimie des substances naturelles. On tend également à y rattacher leurs dérivés possédant des propriétés comparables.Les noms usuels attribués aux alcaloïdes évoquent le plus souvent l’organisme d’origine (atropine, d’Atropa belladona ), parfois leur activité (émétine vomitive). Ils se terminent par le suffixe -ine comme presque tous les produits naturels.1. HistoriqueC’est au début du XIXe siècle que les chimistes se sont aperçus que les plantes renferment des substances à réaction alcaline (jusque-là, seuls des produits acides ou neutres avaient été caractérisés), mises en évidence à l’aide de colorants naturels (tournesol, sirop de violette). Le premier «alcali végétal» isolé à l’état défini fut la morphine de l’opium, décrite en 1817 par F. W. Sertürner sous le nom primitif de «morphium» après avoir été entrevue en 1804 par A. Seguin. La même année apparurent la narcotine ou noscapine (opium), l’émétine (ipéca) et la strychnine (noix vomique), ce qui conduisit W. Meissner, en 1819, à forger le mot «alcaloïde» pour désigner ce nouveau type de produits. Les découvertes stimulèrent beaucoup les chimistes, et, en 1833, on en connaissait déjà une quinzaine. Le fait est remarquable si on considère les moyens et les connaissances de l’époque, mais il l’est aussi dans la mesure où étaient ainsi mis en évidence les premiers «principes actifs» des plantes utilisées en médecine, ouvrant la voie à un emploi plus rationnel des médicaments. On ne peut passer ici sous silence le nom de deux pharmaciens français, P. J. Pelletier et J. B. Caventou, qui sont à l’origine de la découverte de la quinine en 1820.Bien que le terme «alcaloïde», aujourd’hui classique, ait été assez peu utilisé au XIXe siècle au profit d’«alcali végétal», «base végétale», puis «alcali organique», de nombreuses substances s’y rapportant ont été isolées, surtout dans la seconde moitié du XXe siècle, grâce aux progrès des méthodes de séparation et d’analyse structurale. La découverte de la réserpine en 1952 par J. M. Mueller, E. Schlittler et H. J. Bein a marqué le début d’une période très féconde et on peut estimer le nombre d’alcaloïdes connus à plus de 6 000; ce chiffre est en constante augmentation.2. Origine et répartition naturelleLes alcaloïdes entrent dans le groupe dit des «métabolites secondaires», substances très variées qui ne sont pas impliquées dans les activités fondamentales des organismes. Ils sont dans leur grande majorité issus des plantes supérieures, mais leur répartition dans les familles botaniques est très irrégulière. Certaines sont riches en alcaloïdes, comme les apocynacées, alors que d’autres ne comportent que quelques espèces alcaloïdifères (crucifères). Des familles importantes paraissent même en être dépourvues comme les primulacées ou les oléacées. Par ailleurs, les espèces tropicales sont particulièrement favorisées.Le tableau 1 donne une liste des principales familles de dicotylédones produisant des alcaloïdes. Chez les monocotylédones, ce sont les liliacées et les amaryllidacées qui sont les mieux pourvues. Les gymnospermes recèlent les genres Ephedra (gnétacées) et Taxus (taxacées) et les cryptogames vasculaires quelques équisétacées (prêles) et lycopodiacées. Mais les fougères en sont dépourvues. Au total, de 10 à 15 p. 100 des plantes vasculaires sont alcaloïdifères.Les champignons, dont l’inventaire chimique est encore loin d’être complet, contiennent des alcaloïdes intéressants par leur activité biologique. C’est notamment le cas des ergots comme l’ergot de seigle (Claviceps purpurea ), source de dérivés d’une remarquable variété d’effets physiologiques. On citera également les amanites toxiques et divers champignons basidiomycètes (psilocybes, strophaires) hallucinogènes.Des alcaloïdes, dont certains sont parmi les plus puissants poisons connus, sont élaborés occasionnellement par des animaux, notamment les amphibiens (batraciens), les insectes (fourmis, coccinelles, papillons) et les animaux marins (poissons, tuniciers, spongiaires, cnidaires). En fait, certaines espèces les accumulent aux dépens de leur alimentation. Des substances de nature alcaloïdique se retrouvent également chez quelques bactéries (Proteus , Pseudomonas ), des actinomycètes et des algues monocellulaires (dinoflagellées).Un sujet de discussion actuel concerne la mise en évidence de traces d’alcaloïdes typiquement végétaux dans des tissus animaux, en particulier au niveau du système nerveux. Ces substances résulteraient de la condensation entre des amines biologiques présentes dans les neurones (dopamine, adrénaline, tryptamine) et des aldéhydes formés in situ, comme l’acétaldéhyde, métabolite de l’éthanol. De tels dérivés sont parfois désignés comme des «pseudoalcaloïdes».3. ChimiotaxonomieLa chimiotaxonomie a pour objectif d’établir des rapports entre la composition chimique des espèces vivantes et leur classification systématique (taxonomie). Elle s’applique surtout aux plantes, riches en métabolites secondaires.Les alcaloïdes fournisssent une contribution dans certains groupes où ils sont bien représentés comme la famille des apocynacées: la sous-famille des plumieroïdées ne comprend que des espèces à alcaloïdes indoliques, mais celles-ci sont absentes chez les cerberoïdées et les échitoïdées. Dans certains cas, les critères chimiques permettent des distinctions plus fines comme celle des genres Vinca (pervenches des régions tempérées) et Catharanthus (pervenches tropicales), ce dernier contenant des alcaloïdes «doubles» très particuliers. Certains alcaloïdes sont de bons marqueurs taxonomiques, propres à une espèce, un genre, voire une tribu (colchicine des liliacées-wurmberoïdées) ou une famille (dérivés du type taxol des taxacées). D’autres, comme la nicotine, sont disséminés par les caprices de l’évolution dans des familles éloignées dans la classification. La situation est en définitive très différente suivant les produits et les groupements botaniques, et la valeur chimiotaxonomique des alcaloïdes reste limitée.4. LocalisationLes lieux d’élaboration des alcaloïdes dans les plantes sont variables suivant les espèces. Ce sont les tissus jeunes, en phase de croissance et les tissus périphériques – cellules épidermiques ou sous-épidermiques des feuilles, téguments des graines, partie corticale des racines – qui constituent les sites privilégiés de production. La mise en évidence d’alcaloïdes dans les tissus fait appel à des réactifs de précipitation ou de fluorescence (cf. chap. 8). Ils y existent soit à l’état libre, soit le plus souvent combinés à des acides organiques banals (acide tartrique) ou des acides spécifiques de leur origine (acide méconique du pavot, acides tiglique et angélique des Veratrum ). On a remarqué que, dans les cultures in vitro, il se formait des combinaisons insolubles avec des macromolécules cellulaires.Les teneurs sont très variables: certaines écorces de quinquina jaune renferment jusqu’à 20 p. 100 d’alcaloïdes, mais des concentrations de l’ordre de 1 p. 100 sont plus habituelles. La sensibilité des méthodes actuelles de détection permet d’analyser des plantes en contenant moins de 1 p.p.m. (partie par million: 10-6). Quoi qu’il en soit, les proportions varient globalement, non seulement avec l’espèce d’origine ou ses variétés, mais avec la nature du sol, le climat, l’environnement, éventuellement les conditions culturales (pavot somnifère). Certains alcaloïdes peuvent se trouver à de très faibles proportions comparativement à d’autres de la même espèce, ce qui complique beaucoup les opérations de séparation. Le cas de la leurocristine (vincristine), alcaloïde antitumoral de la pervenche de Madagascar (Catharanthus roseus ) dont la teneur est de l’ordre de 3 練 10-4 p. 100 (3 g par tonne), est très démonstratif.5. BiotechnologieLes méthodes biotechnologiques sont applicables aux alcaloïdes par le moyen des cultures de cellules végétales in vitro (Coptis japonica , Catharanthus roseus , Papaver somniferum ...), mais les essais semblent jusqu’ici confinés au stade du laboratoire pour diverses raisons (prix de revient, irrégularité des rendements liée à l’hétérogénéité des populations cellulaires, instabilité génétique, difficulté de récupération des alcaloïdes). Les résultats obtenus ont cependant permis de faire progresser nos connaissances sur la biogenèse des alcaloïdes et de trouver des substances inconnues dans la plante d’origine. Les transformations chimiques par des micro-organismes ou des enzymes (bioconversions) ont été utilisées dans le cas des alcaloïdes, mais sans applications industrielles.6. Structure et classification chimiqueLes alcaloïdes ne constituent pas une catégorie définie de composés chimiques en raison de la variété de leurs structures moléculaires. Toutefois, d’une façon constante, ils possèdent un squelette hétérocyclique azoté, si l’on excepte quelques substances où l’azote est extracyclique (colchicine, éphédrine). La classification la plus accessible est donc fondée sur la nature du système cyclique fondamental de la molécule, mais elle est purement descriptive (tabl. 2). Les deux groupes de loin les plus importants sont représentés par les alcaloïdes isoquinoléiques (plus de 1 500) et indoliques (plus de 700).7. Propriétés physico-chimiquesLa masse moléculaire des alcaloïdes est généralement faible et dépasse rarement 1 000 (tabl. 3). La plupart sont des solides cristallisés. Quelques-uns se présentent sous forme de liquides volatils à la température ordinaire (nicotine, coniine, mescaline), mais leurs sels sont cristallisés. L’amertume est un caractère quasi constant qu’il n’est cependant pas recommandé de vérifier en raison de la toxicité des produits. Les alcaloïdes sont, en général, insolubles dans l’eau mais solubles dans les solvants dits «organiques» (alcools, acétone, chloroforme, oxyde d’éthyle, etc.) tandis que leurs sels ont des caractères de solubilité inverses. La couleur dépend du spectre d’absorption de la lumière, lié à la structure moléculaire: beaucoup absorbent les rayonnements dans le proche ultraviolet (U.V.) et, dans certains cas, cette absorption déborde sur le spectre visible, d’où une coloration jaune à orangé (berbérine, ellipticine), voire rouge (sanguinarine). Simultanément peut apparaître une fluorescence par absorption de rayons U.V. et réémission de lumière visible (quinine). L’existence d’atomes de carbone asymétriques dans leur structure confère à la plupart des alcaloïdes un pouvoir rotatoire, parfois élevé et caractéristique, par déviation du plan de la lumière polarisée.La plupart des alcaloïdes sont basiques, c’est-à-dire qu’ils peuvent fixer un proton (ion H+) sur un atome d’azote. Les ammoniums quaternaires à azote tétrasubstitué (berbérine) possèdent d’emblée cette charge. Cette propriété est à l’origine de la formation des sels avec les acides. Elle est mesurée par la constante de dissociation apparente (pKa) dans un solvant approprié (eau, méthylcellosolve), caractéristique intéressante à connaître pour l’extraction et le fractionnement des alcaloïdes d’une plante.En outre, les alcaloïdes possèdent, comme toute molécule organique, des spectres d’absorption dans l’infrarouge (I.R.), de résonance magnétique nucléaire (R.M.N.), et de masse en relation avec leur structure et, d’ailleurs, mis à contribution pour l’établissement de celle-ci. Ils servent également à des fins d’identification.8. Réactifs généraux des alcaloïdesLes réactifs généraux des alcaloïdes sont des solutions de complexes à base d’iode ou de métaux «lourds» qui donnent des produits d’addition insolubles avec les sels d’alcaloïdes (réactif iodo-ioduré de Bouchardat, réactifs iodomercurique de Mayer-Valser et iodobismuthique de Dragendorff, acides phosphomolybdique, phosphotungstique, silicotungstique, etc.). Ces réactions peuvent être très sensibles – la quinine est détectée à une concentration de 1/100 000 – et sont couramment utilisées pour la mise en évidence des alcaloïdes pendant leur extraction ou pour en effectuer la recherche rapide dans des échantillons botaniques lors de la prospection de nouvelles plantes d’origine tropicale. Les réactifs généraux permettent également d’établir une frontière empirique entre les alcaloïdes stricto sensu et des molécules azotées voisines que l’on est tenté de leur rattacher mais qui donnent une réponse négative. Il existe également des réactions colorées spécifiques d’un groupe particulier d’alcaloïdes, comme celle de Vitali-Morin (atropine).9. Extraction et purificationExtractionLes propriétés basiques des alcaloïdes et les solubilités différentielles qu’ils présentent avec leurs sels sont mises à profit lors de leur extraction. Deux cas principaux se présentent:– Alcaloïdes volatils entraînables par la vapeur d’eau: ils sont déplacés de leurs combinaisons naturelles par une base fixe (chaux, soude, magnésie), directement à partir de la plante, puis entraînés par la vapeur d’eau. Après condensation, ils se séparent de la partie aqueuse du distillat à laquelle ils ne sont pas miscibles. Sont obtenues de la sorte la nicotine du tabac ou la spartéine du genêt.– Alcaloïdes fixes: la plante est traitée par de l’eau ou un alcool (éthanol à 70 p. 100, méthanol) en présence d’acide qui entraîne les alcaloïdes sous forme de sels solubles. La solution extractive est séparée, éventuellement concentrée, et alcalinisée par de la soude ou de l’ammoniaque qui libère les alcaloïdes. Ceux-ci sont alors repris par un solvant organique non miscible à l’eau. Un second procédé pour déplacer les alcaloïdes consiste à ajouter un agent alcalin directement à la plante, et les alcaloïdes libérés sont récupérés en traitant le tout par un solvant organique.Pour des produits fragiles, on a introduit un procédé intéressant: l’extraction par des fluides à l’état supercritique. Enfin, certains types d’alcaloïdes (N-oxydes avec un groupe NO, ammoniums quaternaires avec un groupe 礪N (+) 麗) exigent des modes d’isolement particuliers, comme la précipitation à l’état d’iodomercurate, qu’on décompose ensuite pour les récupérer.PurificationLes produits obtenus lors des extractions sont des mélanges qu’il importe de fractionner pour obtenir les alcaloïdes à l’état pur. On opère par cristallisation progressive dans des solvants adéquats, par extractions successives en milieu acide à l’aide de solutions de pH décroissant, en pratiquant une séparation par contre-courant d’un solvant non miscible, et surtout par chromatographie. Les méthodes chromatographiques consistent à séparer les divers constituants d’un mélange en fonction de leur affinité pour un adsorbant au sein d’un solvant choisi. On fait appel ici à la chromatographie d’adsorption sur colonne (silice, alumine) avec sa variante récente, la chromatographie liquide à haute performance (C.L.H.P.), aux diverses modalités de chromatographie en couche mince (C.C.M.), à la chromatographie d’échange d’ions. Les méthodes chromatographiques sont surtout du domaine du laboratoire et, en raison de leur coût, assez peu utilisées dans l’industrie, qui préfère la cristallisation fractionnée.La préparation industrielle des alcaloïdes, concentrée dans quelques firmes, est du domaine de la chimie fine, les tonnages en jeu étant relativement faibles.10. DosageLe dosage s’impose dans les matières premières servant à préparer les alcaloïdes (plantes) et ensuite pour en suivre l’extraction. En outre, lors de l’utilisation en thérapeutique, il est indispensable de contrôler leur exacte proportion dans les médicaments, garantie des effets attendus.Les méthodes d’analyse volumétrique sont couramment utilisées, bien qu’elles soient peu sélectives puisque généralement fondées sur les propriétés basiques. Il faut donc s’assurer au préalable de la pureté de l’alcaloïde et, si besoin, l’extraire de son milieu. On opère dans un solvant aqueux, alcoolique ou anhydre (acide acétique cristallisable), ce dernier type étant plus approprié au dosage de substances à faible basicité. Les mesures physiques, souvent plus spécifiques et plus sensibles, sont couramment appliquées sur des quantités inférieures au milligramme comme la spectrophotométrie U.V., la fluorescence ou les méthodes électrochimiques. Mais il est fait appel de plus en plus, surtout pour des dosages dans les milieux biologiques, à la chromatographie liquide à haute performance (C.L.H.P.) qui permet une bonne séparation du produit analysé et son dosage sélectif à la sortie de l’appareil.Enfin, le développement récent des techniques immunochimiques a repoussé très loin les limites de sensibilité ainsi que la spécificité des mesures et autorise l’estimation de substances définies dans les tissus vivants à des concentrations extrêmement faibles (inférieures à 10-9). Ces déterminations se révèlent très précieuses pour étudier le métabolisme et la répartition des alcaloïdes dans les organismes, ainsi que le mécanisme d’action au niveau de leurs cibles, les récepteurs cellulaires.11. Détermination de la structureIl n’existe pas de procédés propres à cette catégorie de substances naturelles, et il est fait appel à l’ensemble des méthodes physiques maintenant classiques. Elles permettent, sur de faibles quantités de produit, et en quelques semaines, voire quelques jours ou heures, d’établir la structure spatiale exacte de la molécule. À titre de comparaison, l’établissement de la formule de la strychnine a demandé plus d’un siècle et consommé des kilogrammes de produit!Dans un premier temps, on détermine la masse moléculaire et la formule élémentaire brute de forme Cx Hy Oz Np par microanalyse ou spectrométrie de masse à haute résolution. Le spectre d’absorption dans l’U.V. ou le visible (spectre électronique) fournit des indications sur certains éléments structuraux ou «chromophores» comportant des électrons engagés dans des liaisons multiples et des cycles «aromatiques». Le tracé obtenu – coefficient d’absorption, ou absorbance, en fonction de la longueur d’onde du rayonnement – est parfois suffisamment caractéristique pour identifier le type structural, comme dans le cas des alcaloïdes indoliques ou isoquinoléiques. Le spectre d’absorption dans l’infrarouge (I.R.) est lié aux différentes liaisons interatomiques de l’édifice moléculaire en décelant surtout les «vibrations de valence» (OH, NH, CO, CN, C 略C, liaisons des cycles aromatiques). Le spectre de résonance magnétique nucléaire (R.M.N.) détecte sélectivement certains noyaux atomiques comme 1H, 2H, 13C, 15N, 18O. Il est très utile pour «ausculter» les protons 1H qui fournissent dans le spectre des signaux distincts en fonction de leur environnement moléculaire et de leur orientation spatiale. On détermine ainsi, avec une relative précision, les groupements fonctionnels hydrogénés (méthyles CH3 liés à C, N ou O; 漣CH 略; 礪NH; CH des noyaux aromatiques) et leur proximité, grâce au phénomène du couplage entre protons voisins, analysable par des techniques avec appui informatique. L’isotope prépondérant du carbone, constituant obligatoire des substances organiques, est le noyau 12C qui ne donne pas lieu au phénomène de R.M.N. Il y a donc lieu de s’adresser à l’isotope 13C naturellement peu abondant (1,1 p. 100) mais, avec l’apparition d’appareils à hautes performances, il est possible, de la même façon que pour le proton, de déterminer l’environnement de chaque atome de carbone d’une molécule et de le localiser. La R.M.N. de 13C est ainsi devenue une méthode irremplaçable de détermination de l’enchaînement carboné d’un alcaloïde, c’est-à-dire de son squelette moléculaire, souvent même avec sa configuration spatiale. Le spectre de masse est fondé sur l’ionisation d’une molécule dans le vide par divers agents (bombardement d’électrons ou d’ions, champ électrique). Si cette ionisation est suffisamment énergétique, elle s’accompagne d’une fragmentation de la molécule, caractéristique de sa structure et donnant naissance à des ions secondaires qui sont triés en fonction de leur rapport masse/charge électrique (m /z ). C’est l’enregistrement de tous les ions ainsi formés qui constitue le spectre de masse. Son dépouillement met en évidence divers enchaînements atomiques, sorte de puzzle qui permet de remonter à la structure du produit, mais cette opération est souvent difficile. En outre, le spectre met en évidence la molécule simplement ionisée sous forme d’un «ion moléculaire» dont la détermination exacte de la masse apparente avec plusieurs décimales donne directement la formule élémentaire (Cx Hy Oz Np ), et cela avec moins de 1 milligramme de produit.L’interprétation cohérente de l’ensemble des données fournies par les méthodes précédentes permet en général de trouver la structure moléculaire d’un alcaloïde. Dans certains cas, les conclusions ne sont pas suffisamment convaincantes, et c’est alors la cristallographie de rayons X qui fournira la formule complète avec l’arrangement spatial exact des atomes, sous réserve de disposer de cristaux corrects du produit. La structure de la quasi-totalité des alcaloïdes isolés à ce jour est ainsi connue.12. SynthèseComme pour beaucoup de produits naturels, les édifices moléculaires des alcaloïdes sont assez complexes (strychnine, aconitine, ergotamine, etc.) et leur reconstitution représente pour les chimistes organiciens un défi qu’ils n’ont pas manqué de relever. À l’origine, il s’agissait surtout de vérifier des structures établies non sans mal et parfois contestables: le premier exemple est celui de la coniine (de la ciguë) obtenu par A. Ladenburg en 1886. C’est à partir de 1945, avec les résultats spectaculaires de R. B. Woodward – prix Nobel en 1965 – synthétisant la quinine, la strychnine et la réserpine, respectivement en 1945, 1954 et 1956, que débute réellement l’ère des synthèses totales des substances naturelles et des alcaloïdes en particulier. Elles sont très souvent l’œuvre d’équipes concurrentes exploitant des voies différentes. Certaines sont transposables industriellement et permettent de s’affranchir des aléas de l’extraction liés aux plantes d’origine (papavérine, vincamine).Dans un autre ordre d’idées, des hémisynthèses permettent d’obtenir divers alcaloïdes à partir de molécules naturelles plus accessibles, comme la thébaïne de l’opium, utilisée pour préparer la codéine.13. Rôle dans les organismes d’origineEn se limitant au cas des végétaux qui restent la source essentielle des alcaloïdes, le rôle qu’y jouent ces derniers est actuellement assez obscur. Il apparaît en définitive comme devant être variable et, en tout cas, non vital pour la plante.D’un point de vue purement physiologique, il a été postulé que les alcaloïdes sont des «impasses métaboliques», substances élaborées au terme d’une chaîne de réactions biochimiques, mais non utilisées ni transformées. Il y a dès lors accumulation dans certains tissus, comme la quinine dans les écorces de quinquina. À l’inverse, des observations effectuées sur la ciguë ou le latex du pavot suggèrent que leurs alcaloïdes seraient des métabolites intermédiaires à finalité inconnue dont la teneur varie en fonction de l’heure et de l’activité photosynthétique.Un rôle de défense est fréquemment avancé, bien que peu de données expérimentales soient disponibles à cet égard (activité antibiotique par exemple). Dans une vue plus finaliste, il est connu que diverses plantes à alcaloïdes ne sont pas consommées par les animaux sauvages en raison de leur amertume ou de leur mauvaise tolérance (colchique). Ces observations se retrouvent chez les insectes ou les batraciens producteurs d’alcaloïdes: la coccinelline des coccinelles, très amère, la batrachotoxine des venins de crapaud apparaissent dissuasives vis-à-vis des ennemis de l’espèce. À ce titre, les alcaloïdes pourraient intervenir indirectement dans la sélection naturelle et l’évolution.Avec la mise en évidence de relations plantes-insectes se profile une vocation écologique, en tant qu’agents de communication chimique. Diverses borraginacées produisent des alcaloïdes à noyau pyrrolizidine toxiques pour les animaux à sang chaud mais bien tolérés par les papillons, qui les utilisent pour élaborer des substances attractives sexuelles (phéromones «aphrodisiaques») ou des hormones de mue. On observe alors un synchronisme entre le développement de la plante et celui de l’insecte.14. BiogenèseLes alcaloïdes sont élaborés dans les tissus vivants à partir de précurseurs du métabolisme fondamental (ou primaire) qui, dans la majorité des cas, sont des acides aminés. Ainsi, les alcaloïdes indoliques et la quinine dérivent du tryptophane, les tropaniques de l’ornithine, les isoquinoléiques de la phénylalanine. Toutefois, d’autres unités métaboliques sont simultanément incorporées, comme le mévalonate, précurseur des terpènes, dans la plupart des alcaloïdes indoliques. Certains ont une autre origine, comme la coniine qui dérive d’un motif polyacétique (face=F0019 漣CH2 漣CO 漣)n . Les processus biosynthétiques conduisant aux alcaloïdes sont maintenant suffisamment bien connus pour envisager, en fonction des précurseurs, une classification biogénétique relativement cohérente qui tend à s’imposer.La biosynthèse s’effectue par une suite de réactions enzymatiques et peut être suivie par incorporation aux plantes de précurseurs marqués en des positions déterminées par des isotopes radioactifs (14C, tritium 3H) ou non (13C). Les progrès de la culture des cellules végétales in vitro ont permis de l’utiliser ici, en particulier pour mettre en évidence différents intermédiaires, comme cela a été fait avec les alcaloïdes indoliques et isoquinoléiques. Enfin, il est possible d’isoler certaines enzymes pour analyser plus finement les étapes qu’elles contrôlent.15. Intérêt thérapeutiqueLes alcaloïdes jouent toujours un rôle important, comme principes actifs des médicaments, malgré l’essor des produits de synthèse. Ils sont utilisés soit tels quels, soit sous forme de dérivés plus actifs, mieux tolérés par l’organisme, ou manifestant des effets différents. Ils ont souvent servi de modèle pour imaginer de nouvelles molécules de synthèse. La morphine reste le produit de référence des analgésiques (médicaments de la douleur). Son dérivé, la codéine (méthylmorphine), est un analgésique mais surtout un calmant de la toux. À la morphine se rattachent également des alcaloïdes hémisynthétiques comme la naloxone , utilisée dans le traitement des toxicomanies. La cocaïne des feuilles de coca, chef de file des anesthésiques locaux, est maintenant peu utilisée, mais son emploi illicite comme stupéfiant est très préoccupant. L’atropine , principe actif de la belladone et des daturas, a servi de modèle à une série de médicaments destinés au traitement des spasmes viscéraux.Le groupe des alcaloïdes de l’ergot de seigle conserve une place privilégiée avec l’ergotamine, dépresseur du système nerveux sympathique (sympatholytique), son dérivé dihydrogéné, vasodilatateur cérébral indiqué dans le traitement des migraines, et la bromocriptine, inhibiteur de la lactation, également prescrite dans certains types de stérilité. Des dérivés plus simples, comme le L.S.D. (diéthylamide de l’acide lysergique), sont hallucinogènes et inutilisables en thérapeutique.Les alcaloïdes indoliques fournissent des médicaments importants: la réserpine , isolée d’une plante indienne sédative Rauvolfia serpentina , qui a inauguré avec la chlorpromazine les neuroleptiques, médicaments spécifiques des psychoses aiguës avec agitation, et apporté une révolution en thérapeutique psychiatrique; l’ésérine , tête de série d’un groupe important d’insecticides, les carbamates; la vincamine , qui améliore le fonctionnement des cellules cérébrales (sujets âgés); la vinblastine et la vincristine , alcaloïdes voisins de la pervenche de Madagascar, utilisés dans le traitement des leucémies, de la maladie de Hodgkin et de diverses autres tumeurs.Un des premiers alcaloïdes utilisés a été la quinine , antimalarique qui rend encore service dans certaines formes graves du paludisme dues à Plasmodium falciparum . Son isomère, la quinidine , supprime les fibrillations cardiaques.La colchicine du colchique est un remède anti-inflammatoire spécifique des accès douloureux de la goutte. La tubocurarine et la C-toxiférine font partie d’une catégorie d’alcaloïdes trouvés dans les curares, poisons de flèche amazoniens qui paralysent les muscles striés, bien connus depuis les travaux de C. Bernard. Des analogues de synthèse sont d’un emploi courant en chirurgie, comme adjuvants de l’anesthésie pour obtenir la résolution musculaire indispensable aux interventions.16. Propriétés et utilisations diversesLa forte activité biologique des alcaloïdes en fait parfois des toxiques puissants qui ont été impliqués dans des accidents et des affaires criminelles. On les retrouve comme principes actifs de préparations utilisées dans des cérémonies rituelles ou comme poisons d’épreuve dans des ordalies (mescaline de diverses cactacées, psilocybine de champignons, ibogaïne de l’iboga). Par ailleurs, les alcaloïdes sont responsables d’intoxications du bétail, et un des plus curieux, à cet égard, est la cyclopamine (d’un vératre, Veratrum californicum ), apparentée aux stéroïdes, qui provoque chez les agneaux en gestation une malformation caractérisée par un œil de cyclope (serait-ce l’origine de la légende?).Enfin, l’étude de leur mécanisme d’action a conduit à les employer comme réactifs biologiques en neurochimie. La batrachotoxine bloque la perméabilité membranaire en fermant les «canaux sodium» des neurones; l’anatoxine d’une algue bleue est cent fois plus active que l’acétylcholine, médiateur majeur du système nerveux central, ou, en génétique, la colchicine arrête la mitose et provoque un doublement des chromosomes.
Encyclopédie Universelle. 2012.